Histoire d'Espenel

(texte écrit par Suzanne Bompard et André Brun)

Le village vieux d'Espenel ne manque ni de charme, ni d'attrait. Comme d'autres villages moyenâgeux fortifiés, il avait été construit là, sur la colline la plus centrale de la commune, en raison sans doute de sa position stratégique protégée, et de la vue magnifique et parfaite sur la vallée de la Drôme et sur le grand chemin. Hormis cinq ou six maisons, dont l'école-Mairie construites en dehors de l'enceinte, le village est resté immuablement enserré dans ses remparts jusqu'en 1944.

On accédait à l'intérieur, par quatre portes sous voûtes qui s'ouvraient sur un réseau pittoresque de ruelles resserrées, de "viols" étroits, de placettes aux murs couverts de pariétaire. Le four, les deux fontaines publiques, l'école et le temple constituaient l'aménagement principal de la commune. L'entretien de ces édifices, et les fréquentes réparations aux ponts et aux chemins face aux éboulements torrentiels de la Drôme et des ruisseaux, formaient la principale préoccupation des notables, si l'on se réfère aux relations consulaires.

Les recensements connus indiquent 324 habitants en 1724, 225 en 1755, 309 en 1800, 367 en 1806, 276 en 1858, 195 en 1926 et 110 en 1946. Ce chiffre n'a pas beaucoup évolué depuis cette date puisque Espenel compte aujourd'hui 112 habitants (source INSEE).
Au début de ce siècle, une quarantaine de propriétaires faisait des déclarations de récoltes (vin rouge ou blanc, cocons, etc...). Les plus petits exploitants, (les plus nombreux) étaient aussi journaliers agricoles, au gré des saisons (foin, lavande, noix, bois, etc...). Les derniers artisans ont disparu avant 1914. Les habitants avaient en commun, l'héritage d'un passé riche et passionnant, aussi la vie quotidienne se déroulait dans l'harmonie, l'amitié et la solidarité.

Espenel, ce beau village, qui fut au cours des siècles, un gardien de la vallée avec Pontaix, devait connaître le 21 Juillet 1944 des événements tragiques liés au soutien général de la population à la cause de la résistance. Depuis plusieurs mois, Espenel était habitué à vivre avec son maquis. De plus, de nombreux jeunes gens, réfractaires au S.T.O., étaient cachés chez les habitants. Les mêmes sentiments unissaient tout le monde; inquiétude, mais aussi confiance et espoir. On en est là le 21 Juillet 1944. C'est pour commémorer cette date qu'un mémorial a été construit sur le territoire de la commune et inauguré en 1999.

 Ce soir-là, la colonne allemande remonte de Crest vers Die et le Vercors par la départementale 93. Accrochée au pont des Grands Chêneaux, entre Aouste et Blacons, elle est encore sur la défensive quand elle arrive par les deux rives de la Drôme chez nos amis de Saillans. Elle fouille les rues, et se dirige vers le détroit où les résistants placés sur les rochers de la rive droite et à la sortie du tunnel sur la rive gauche, déclenchent le tir avec des armes automatiques. C'est la bataille, les maquisards tirent et tiennent leurs positions, autant qu'ils le peuvent. Les Allemands appuyés par leur matériel et leurs petits avions de reconnaissance, gagnent du terrain. Ils incendient les fermes et les cabanons au fur et à mesure qu'ils progressent. Ils tuent les personnes qui tentent de fuir. Les Résistants se replient souvent dans des conditions périlleuses lorsque l'encerclement devient inévitable. Après plusieurs heures de lutte inégale, les Allemands qui ont déjà beaucoup tué, beaucoup brûlé, arrivent dans le village.

Aussitôt, dans le bruit des grenades et des fusils, s'allument les incendies. En quelques heures, la moitié des maisons sont en feu. En fin d'après-midi, un immense nuage de fumée plane sur la vallée. Un détachement de soldats allemands, resté sur place, achèvera au cours des jours suivants, de piller et de détruire ce qui n'a pas brûlé le premier jour. La rapidité des événements est telle, que les habitants quittent leurs maisons au dernier moment, emportant avec eux de menus objets et la dernière vision du village debout. Les femmes, les enfants, les personnes âgées, se réfugient dans les cabanons de Barbou, des Prés, des Peyrouses, à proximité des bois et de la montagne. La nuit venue, et les nuits suivantes, quelques hommes volontaires et courageux, s'approchent des ruines fumantes, en évitant les sentinelles Allemandes et viennent secourir les blessés.

Les années ont passé depuis ces moments tragiques. Espenel est sorti de ses murs, des maisons modernes ont été construites à Espenel le bas, une belle place ombragée agrémente le nouveau village. L'évolution de l'agriculture, le développement du tourisme ont profondément bouleversé le paysage rural. Espenel est aujourd'hui bien différent, mais il est resté le pays accueillant et chaleureux d'antan. Six vignerons y cultivent environ 50 hectares de vignes.
Ce sont des raisins clairette et muscat qu'ils livrent à la cave de Jaillance. Plus de pressoir, plus de barrique à Espenel mais les bons raisins dorés qui mûrissent sur les coteaux entrent dans la fabrication de la "Cuvée Impériale" dont la renommée franchit les frontières. A coté des fermes des vignerons, plusieurs maisons de gens retraités, la plupart des personnes du pays qui sont revenues y finir leurs jours. Les volets de la plupart de ces maisons ne s'ouvrent malheureusement que l'été et les week-ends. Nous y trouvons néanmoins quelques jeunes ménages puisque le minibus emmène une dizaine d'écoliers à Saillans, l'école d'Espenel étant, hélas, fermée depuis longtemps.

Le village, calme en saison hivernale, s'anime l'été avec ses
deux campings qui affichent "complet" pendant deux bons mois. Les nordiques, et les Hollandais en particulier affectionnent tout particulièrement les berges de la Drôme. Néanmoins, quelques amoureux de la nature montent jusqu'au village ou se hasardent à pieds ou en VTT sur nos chemins de randonnées. Nos crêtes "Cresta- Pégarnier- Serre de l'Aup" d'où la vue est magnifique sont fort fréquentées durant cette période estivale. Quelques festivités organisées par les associations du village en cours d'année sont très prisées par les Diois avec qui nous vivons en bonne entente.

Mais le plus grand succès est remporté par la vogue. Elle est organisée par le comité des fêtes d'Espenel le 2ème dimanche d'Août et dure deux jours. Cette fête votive accueille chaque année plusieurs milliers de jeunes et moins jeunes attirés par les concours de boules, les bals gratuits, la Clairette qui coule à flots et les repas préparés et servis par la population du village et les amis résidants de vacances. Tout le monde dans le village, jeunes et anciens, participe et la bonne humeur règne.

Espenel est un petit village calme, tolérant où il fait bon vivre et où on ne s'ennuie pas
malgré ce que peuvent penser les gens de la ville.

Enfin les couchers de soleil sont si beaux l'été lorsque, tard dans la soirée,
la gorge au-dessus de Saillans s'illumine de ces reflets rouges qui annonçent le beau temps.


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